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Channel: Le bar à poèmes

Kobayashi Issa / 小林 一茶 (1703 – 1826) : « Avec quel regard d’envie... »

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Terebess Asia Online (TAO)

 

 

Avec quel regard d’envie

L’oiseau en cage

Suit des yeux un papillon !

 

Traduit du japonais par Gaston-Ernest Renondeau

in, « Anthologie de la poésie japonaise classique »

Editions Gallimard (Poésie), 1971

Du même auteur :

 « quiétude… » (04/02/2016)

« Première cigale… » (04/02/2017)

« Ah ! pouvoir être … » (04/02/2018)

« Un monde de douleurs... » (04/02/2019)

« Couvert de papillons... » (04/02/2020)

« Le papillon bat des ailes... » (04/02/2021)

« L’enfant essayait... » (04/02/2022)


Heather Dohollau (1925 – 2013) : Fleurs

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Fleurs

 

ROTHKO ET LES IRIS

     De l’un à l’autre

     les yeux repassent

     le tableau et les fleurs

 

     comme un écoute

     les couleurs ont à dire

     elles sont de force égale

     leurs mots font mal

 

     car quelque part

     mais où

     chacun est l’autre

 

IPOMEE

UNE FLEUR BLEUE

 

Le matin tôt        les teintes de rose

s’innervent de bleu       un entonnoir délicat

à gorge de neige       boit le ciel et brûle

d’une flamme miroir      pour vers le soir

se cueillir       en ses braises

 

 LILAS

 

     Sur la table le lilas crée son chemin

     là où son parfum a envahi l’air

     ces fleurs minuscules en forme de croix

     ont fait une bénédiction de l’espace

     nos mouvements sont ralentis comme par l’eau

     et cependant nous touchons à l’autre rive

 

LYS DE LA VALLEE

 

     Parfum inviolé       ces clochettes blanches

     emportées perdues dans de verts fourreaux

     qui       comme la rame d’Ulysse    évoquent l’eau

     où trempent les longues tiges dans de la terre étroite

 

POIS DE SENTEUR

 

Ici le papillon se fait pétale

et tremble au bord de soi

où seul le parfum suit les voies de l’air

 

PIVOINE

 

C’est encore l’avant-naissance

l’intra monde        les courbes serrées

de pétales entre soi        mais là où les fils d’ombre

supposent un chemin        attendent en labyrinthe

les plis du jour

 

SERINGA

 

     Tourelle      de loin

     de colombes       de près

     de billets dépliés

     d’une blancheur froissée

     odorante        une poussière

     d’or

 

IRIS

 

     Les hautes fleurs qui semblent annoncer

     des nouvelles par la terre         dont les mots

     s’arrêtent au regard

 

PERSONNAGES DANS DES INTERIEURS

(un domaine enchanté)

 

     Dans les quatre grands panneaux peints pour la bibliothèque de Docteur

Vasquez – miroirs qui gardent les présences - Vuillard a couvert toutes les

surfaces d’une même densité de motifs.  Ce vêtement à mille-fleurs rapiécé

par les espaces suggère une perméabilitéà l’intérieur d’une clôture, car une

seule respiration parcourt ces correspondances qui perdurent. Et aucune main

ne déborde ces abris magiques pour questionner le temps au dehors, là où la vie

tressaille aux carrefours devant les chemins frais.

 

LA ROSE

 

     Seule en elle-même

     tenue de verre

     sur sa longue tige

     sans souffle

     elle brûle le temps

 

LE MIMOSA EN HIVER

 

     Le jaune très pâle      comme un appel de neige

    avec les teints de vert que garde le froid

     des perles infimes se tenant sur des fils

     à peine visible contre le rideau clair

     et toute cette splendeur pour le peu du temps.

 

SUR UNE GRAVURE DE ROBIN TANNER

 

     Ici les jonquilles

     font une haie de grâce

     un chant silencieux

     là où chaque fleur

     partage sa seule présence

     en gamme de l’être

     et si ces tendres voix

     aux tons solaires

     pénètrent au paradis

     par tracements sombres

     un temps serein

     découvre en cheminant

     leur face de gloire

 

 

Devant la fenêtre    le pommier est en fleur

à la hauteur de la chambre        les pas des yeux

pour tenir contre soi      cette robe brodée

au sombre du temps     avec pour lumière

la passion de cette fête       ce superflu

sans mesure de regard      un amour d’ange

 

ou est-ce la Chine ?       Si pour un Fils du ciel

un corbeau freux         fait tomber de son noir

des pétales blancs          et de ces nœuds défaits

éclaire le chemin

 

LE NOM DE LA ROSE

 

Un jardin dans une île

en clos oblique       y pénétrer

pour être défait de soi

ici dans le royaume de la rose

 

les parfums ont des voix

chacune unique     un concert

pour les aveugles      prêtant vue

 

les sons révèlent le multiple

d’un monde       son infini

où tout se trouve          si l’absence

est une porte

 

THE DAISY GIRL

 

Une salle de classe

et sur un mur        toi

petite fille pensive

dans une robe blanche

qui chante les couleurs

tenant dans ta main lasse

les fleurs fraîchement peintes

 

l’image écran de l’adulte

de l’enfant

qui devient plus tard

ta vision propre

quand sur une vielle carte postale

un soleil tardif

fait lever les brumes du pré

 

Un regard d’ambre

Editions Folle Avoine,35137 Bédée, 2008 

De la même autrice :

  Matière de lumière les murs (20/01/2014) 

« Si pour vivre il suffit de toucher la terre… » (20/01/2015)

La terre âgée (20/01/2016)

L’après-midi à Bréhat (20/01/2017)

Mère bleue (05/02/2018)

L’Ombre au Soleil (05/02/2019)

Le tertre blanc (05/02/2020)

Paulina à Orta (05/02/2021)

Lieux (05/02/2022)

Friedrich Hölderlin (1770 - 1843) : Pain et vin / Brot und wein

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Pain et vin

A Heinze

 

1

En cercle là autour repose la ville, silencieuse est la rue illuminée

     Et ornées de flambeaux s’éloignent les voitures crissantes,

Rassasiés des joies du jour les hommes retournent au repos

     Et pesant gains et pertes quelque tête pensive

Connaît la paix de la maison : vide de raisins et de fleurs

     Et vide du travail des mains repose le marché affairé.

Mais des accords résonnent dans les jardins au loin ; peut-être

     Est-ce un amoureux là-bas, ou un homme solitaire

Qui joue pour des amis lointains ou pour sa jeunesse ; et les sources

     Toujours ruisselantes et fraîches bruissent sur leur lit parfumé.

Calmes dans la pénombre de l’air carillonnent des cloches sonores,

     Et attentif aux heures un veilleur crie leur nombre.

Maintenant passe un souffle et remue la cime du bois,

     Vois, et l’ombre de notre terre, la lune,

Survient, secrète, elle aussi ; la nuit, la visionnaire, arrive

     Pleine d’étoiles et bien peu inquiète de nous,

Là-bas rayonne l’étonnante, l’étrangère entre les hommes,

     Et sur les collines, triste et splendide, se lève.

 

2

Admirables sont ses bienfaits, à elle, la plus haute, et personne

     Ne sait d’où ni comment ils nous viennent.

Aussi meut-elle le monde et l’âme des hommes, leur espoir,

     Aucun sage même ne comprend ce qu’elle nous prépare, car ainsi

Le veut le dieu le plus grand, lui qui t’aime, et par là

     T’est plus cher encore que la nuit, le jour sobre.

Mais parfois aussi un œil clair aime l’ombre,

     Et cherche par plaisir, avant qu’il soit nécessaire, le sommeil,

Et l’homme intègre plonge aussi volontiers les yeux dans la nuit.

     Oui, il sied de lui vouer des couronnes et des chants,

Car elle est consacrée aux déments et aux morts,

     Mais elle-même se maintient, éternelle, dans l’esprit le plus libre.

Elle, pourtant, elle nous doit, pour qu’à l’heure hésitante

     Et dans l’obscurité quelque chose nous soit saisissable,

Elle doit aussi nous verser l’oubli et l’ivresse sacrée

     Et une parole qui afflue et qui soit, tout comme ceux qui aiment,

Sans sommeil, et la coupe plus pleine, et la vie la plus téméraire,

     Et la mémoire sainte, qui nous tient éveillés dans la nuit.

 

3

En vain cachons-nous nos cœurs dans nos poitrines, et en vain

     Cherchons-nous, maître ou disciple, à contenir la vaillance et qui donc

Nous voudrait entraver, qui voudrait nous défendre la joie ?

     Un feu divin aussi nous pousse, et le jour et la nuit

A ouvrir la brèche. Ainsi, viens ! afin que nous voyions l’Ouvert

     Et cherchions le bien qui est nôtre, si loin que ce soit.

Car ceci demeure : que ce soit à midi, ou même

     Au profond de minuit, toujours subsiste une mesure

Commune à tous, et pourtant donnée à chacun en partage, singulière,

     Par là s’en va, y parvient chacun s’il le peut.

Ainsi donc ! qu’un délire joyeux se moque des moqueurs

     Quand dans la nuit sacrée il s’empare des chanteurs soudain.

Là-bas, vient, sur l’Isthme ! où bruit au large la mer

     Contre le Parnasse et où la neige couronne les falaises delphiques.

Là au loin au pays de l’Olympe, là sur les hauteurs, Cithéron,

     Sous les pins, parmi les grappes, là où

Monte la rumeur de Thèbes, de l’Ismène, au pays de Cadmos,

     De là nous arrive et s’annonce à nouveau le dieu qui vient.

 

4

Grèce heureuse ! Toi, demeure pour Eux dans le Ciel,

     C’est donc vrai, ce que dans notre jeunesse nous avons entendu ?

Salle de la fête ! dont le sol est la mer, dont les tables sont les montagnes,

     Construite, dès avant les âges, pour un seul cérémonial.

Mais les trônes, où sont-ils ? et les temples, où sont les coupes,

     Pleines de nectar, pour les dieux et la joie du chant ?

Où donc, où s’éclairent les oracles aux portées lointaines ?

     Delphes sommeille, et où est la grande rumeur du destin ?

Où est-il, lui qui est brusque ? Oùéclate, partout présent et plein de bonheur,

     Et tonnant, ce qui descend à nos yeux de l’air clair ?

Père Ether ! c’est l’appel qui volait de langue en langue

     Mille fois crié, et nul sous la charge de vie n’était seul.

Partagé, pareil bien donne joie, échangé avec l’étranger

     Il devient une acclamation, et s’accroît la force dormeuse de ce nom :

Père ! Toi, le clair ! et résonne, aussi loin qu’il porte, l’antique

     Signe, hérité des aïeux, qui touche au loin et qui crée.

Ainsi reviennent Ceux du Ciel, par qui tremble la profondeur, er descend

     Hors des ombres parmi les hommes leur jour.

 

5

Inaperçus d’abord, ils arrivent, et contre eux,

     Se débattent les enfants, trop clair survient, trop brillant le bonheur

Et plein de crainte est l’homme, à peine un demi-dieu saurait dire

     Quels sont les noms de ceux qui chargés de dons se rapprochent.

Mais le courage qu’ils lui donnent est grand ; et lui remplissent le cœur

     Ces joies qu’ils apportent, à peine sait-il user de ce bien,

Il crée, il prodigue, et presque sacré est devenu pour lui le profane

     Que sa main, généreuse follement, touche et conjure.

Ils le tolèrent, Eux dans le Ciel, autant qu’il se peut ; puis vraiment

     Eux-mêmes viennent, et les hommes s’accoutument au bonheur

Et au jour et à voir ceux qui sont dévoilés, leur visage,

     A ceux qui dès longtemps comme l’Un et le Tout sont nommés,

Dont la vue, librement, en silence profond, remplit et rassasie le cœur

     Et d’emblée, à elle seule, contente tout désir.

Ainsi est l’homme : quand là est le bien, et que pour lui s’inquiète et se charge de dons

     Un dieu même, il ne peut le savoir ni le voir.

Pour la souffrance, c’est d’abord ce qu’il doit, et alors il monte qui lui est le plus cher,

     Alors, alors doivent les paroles, comme des fleurs, se lever.

 

6

Alors il se propose gravement d’honorer les dieux bienheureux,

     En effet et en vérité doivent toutes choses proclamer leur louange.

Rien ne doit voir la lumière, qui ne plaise à Ceux d’En Haut,

     Devant l’Ether n’ont droit de paraître d’inutiles tâtonnements.

Là autour, en leur présence dans le Ciel, pour s’en rendre dignes

     Les peuples se disposent en ordonnances souveraines,

Entrelacés, et bâtissent des temples beaux et des villes

     Fermes et nobles, qui se dressent au-dessus des bords –

Mais où sont-elles ? Où fleurissent-elles, les biens connues, les couronnes de la fête ?

     Thèbes se flétrit, et Athènes ; les armes ont cessé de retentir

A Olympie, et les chars dorés dans le jeu du combat,

     Et on ne couronne plus les navires à Corinthe ?

Pourquoi se taisent aussi les théâtres anciens et sacrés ?

     Pourquoi la joie des danses rituelles n’est-elle plus ?

Pourquoi un dieu, comme alors, ne marque-t-il plus l’homme au front,

     Ne met-il plus comme alors son empreinte sur celui qu’il frappe ?

Ou bien lui-même est venu et a pris forme de l’homme,

     Et consolateur, accomplit et ferma la fête du ciel.

 

7

Mais, ami ! nous venons trop tard. Il est vrai, les dieux vivent

     Mais au-dessus de nos têtes, là-haut, dans un autre monde.

Là ils oeuvrent sans cesse, et semblent bien peu attentifs

     A notre vie, tant Eux dans le Ciel nous ménagent.

Car un vase fragile ne peut toujours les contenir,

     Seulement par instant l’homme supporte la plénitude divine.

Rêver d’eux, telle est ensuite notre vie. Mais l’erreur,

     Comme le sommeil, nous secourt, et ce sont détresse et nuit qui rendent forts,

Jusqu’à ce que des héros, dans les berceaux d’airain, aient grandi

     Et que leur cœur soit, comme alors, semblable en force, aux Immortels.

Ils viendront, dans l’orage tonnant. Jusque-là, il me semble,

     Mieux vaut dormir que d’être ainsi sans compagnon

Et d’atteindre ainsi, et ce qu’il nous faut dans l’attente faire et dire,

     Je ne sais, ni pourquoi des poètes dans les temps d’indigence.

Mais ils sont, dis-tu, comme les prêtres saints du dieu de la vigne

     Qui passaient dans la nuit sacrée de pays en pays.

 

8

En effet, quand jadis, et c’est un temps qui nous semble lointain,

     Tous ils furent remontés, qui rendaient la vie favorable,

Quand le Père eut détourné des hommes son visage

     Et que le deuil à bon droit eut commencé sur la terre,

Quand en dernier parut un génie silencieux, né du ciel

     Et consolateur qui annonça la fin du jour et s’en fut,

Il nous laissa un signe, attestant qu’il fut là et allait

     Revenir, et que le chœur du ciel laissait en retour quelques dons

Dont nous, comme alors, nous pourrions nous réjouir en hommes :

     Car la joie de l’esprit, le plus grand des dons devenait

Trop grand pour les hommes, encore et toujours manquent les forts pour les joies

     Les plus hautes, bien qu’un peu de gratitude survive encore, silencieuse.

Le pain est le fruit de la terre, mais la lumière le sacre,

     Et c’est du dieu du tonnerre qu’est venue la joie du vin.

Ainsi nous avons mémoire d’Eux dans le Ciel, qui alors

     Etaient là et qui vont revenir au temps juste,

Ainsi chantent, gravement eux aussi, les chanteurs en l’honneur du dieu de la vigne

     Et pour lui, l’ancien, il n’est pas vain d’entendre leur louange.

 

9

Oui, ils ont raison de le dire, il réconcilie la nuit et le jour,

     Sans fin, il conduit les astres du ciel par les chemins d’en bas et d’en haut,

Joyeux en tout temps, pareil au feuillage du pin toujours vert

     Et qu’il aime, oùà la couronne qu’il s’est choisie dans le lierre,

Car lui demeure, et la trace des dieux enfuis

     Lui-même l’apporte ici-bas aux sans dieux, au-dessous, dans l’obscur.

Ce que le chant ancien a prédit des enfants de dieu,

     Vois ! nous le sommes nous-mêmes ; le fruit des Hespérides est là !

Admirable et exact ce qui s’accomplit en l’homme,

     Le croira, qui l’a éprouvé ! mais tant de choses arrivent

Et rien ne se fait, car nous sommes des ombres, sans cœur jusqu’au jour

     Où l’Ether notre Père, reconnu, va être à chacun et à tous.

C’est dans l’intervalle que vient, en porteur de torche, le Fils

     Du Très Haut, le Syrien, parmi les ombres en bas.

Des sages bienheureux le voient ; un sourire rayonne

     Des âmes prisonnières, à nouveau leurs yeux, mouillés à la lumière, scintillent.

Doucement rêve et dort le Titan dans les bras de la terre,

     Même Cerbère, même lui, le jaloux, vient boire et s’endort.

 

Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Faye

in, « Hölderlin » ( Les Cahiers de l’Herne)

Editions de l’Herne, 1989

 

Pain et vin

A Heinse

 

I

La ville alentour repose ; la rue éclairée fait silence,

     Et les voitures à grand bruit partent, adornées de flambeaux.

Repus de joies du jour, chez eux, les hommes rentrent se reposer,

     Et les gains et les pertes une tête songeuse et bien contente

Les soupèse au logis : les raisins et les fleurs et les ouvrages

     De la main ont quitté le marché affairé qui repose.

Mais on entend au loin dans les jardins frémir une guitare ; peut-être

     Est-ce un amant qui joue ou quelque homme solitaire

Songeant à des amis lointains, à sa jeunesse ; et les fontaines

     Fraîches et toujours resurgies bruissent auprès du parterre odorant.

Dans l’air assombri du soir on entend sonner des cloches,

     Et des heures non oublieux un veilleur clame le nombre.

Voici qu’arrive aussi un souffle qui fait bouger les cimes du bosquet,

     Regarde ! et le calque de l’ombre de notre terre, la Lune, la voici

Secrète qui s’en vient aussi ; la passionnée, la nuit s’en vient

     Pleine d’étoiles et de nous peu soucieuse sans doute,

L’Etonnante là-bas resplendit, l’Etrangère parmi les hommes,

     Par-dessus les sommets monte resplendissante et triste. 

 

II

Merveilleuses sont les faveurs que dispense la Sublimissime et personne

     Ne sait de quand ni ce qui d’elle nous advient.

C’est ainsi qu’elle meut l’univers et l’âme espérante des hommes,

     Le Sage même n’entend rien à ce qu’elle concerte, car c’est là

Ce que veut le Dieu suprême, qui t’aime grandement, et c’est pourquoi

     Le grand jour réfléchi t’est plus cher encore qu’elle ne t’est,

Mais il arrive qu’un clair regard aime lui-même l’ombre,

     Et s’essaie par plaisir, avant qu’il soit besoin, au sommeil,

Ou qu’un homme fidèle aime à contempler la nuit.

     Et même il convient bien de lui vouer des couronnes et des chants,

Car elle est aux errants consacrée et aux morts,

     Mais perdure elle-même, existe infiniment dans l’Esprit le plus libre.

Mais elle doit aussi, pour que dans l’hésitant séjour,

     Pour qu’au cœur de l’obscur il y ait pour nous du saisissable,

Nous dispenser l’oubliance et l’ivresse sacrée,

     Nous dispenser le flot roulant de la parole, qui soit, tels les amants,

Sans sommeil, ainsi qu’une coupe plus pleine, une plus audacieuse vie,

     Une sainte mémoire aussi, afin que dans la nuit ? nous restons en éveil.

 

III

De même c’est en vain que nous cachons le cœur en nos poitrines, en vain

     Que, maîtres et garçons nous gardons notre courage encore, qui pourrait

En effet l’empêcher, qui nous interdire l’allégresse ?

     Un feu divin nous pousse aussi, et le jour et la nuit,

A nous mettre en chemin. Viens donc ! Que nous contemplions l’Ouvert,

     Et que, si loin que soit quelque chose de propre, nous le cherchions.

Une chose demeure établie ; que ce soit à midi, ou qu’on aille

     Jusque dans la minuit, il existe toujours une mesure,

Commune à tous, mais à chacun est impartie dans une mesure propre,

     Vers où s’en va et vient chacun, là où il peut.

C’est pourquoi ! et railler les railleurs est chose qu’aime un délire exultant

     Quand dans la nuit sacrée il s’empare soudain des chanteurs.

Aussi allons, à l’isthme vient ! là-bas, dans la grande rumeur de la mer ouverte

     Aux pieds du Parnasse, où la neige étincelle aux falaises delphiques.

Au pays de l’Olympe, là-bas sur les hauteurs du Cithéron,

     Sous les grands pins là-bas, parmi les vignes, d’où l’on entend monter

La rumeur, en-dessous, de Thèbes et de l’Isménos, au pays de Cadmos,

     D’où vient et où fait signe de revenir le Dieu de la venue.

 

IV

Bienheureux pays grec ! ô, demeure de tous les Célestes autant qu’ils sont,

    Ainsi donc est bien vrai ce que jadis, en notre jeunesse, nous entendîmes,

Grande salle de fête ! le sol en est la mer ! et les tables, les montagnes,

     Construites en vérité pour un unique usage depuis la nuit des temps !

Mais les trônes, où sont-ils ? les temples ? où sont les vases,

     Où est, rempli de nectar, pour le plaisir des dieux, le chant ?

Où sont, où brillent donc les sentences à la longue et précise portée ?

     Delphes somnole, où retentit la grande destinée ?

Où est-la prestissime ? Où fait-elle effraction, emplie d’omniprésent bonheur,

     Et vient frapper les yeux d’un tonnerre de ciel clair ?

Père Ether ! c’était ce qu’on criait, et ce cri mille fois volait de bouche

     En bouche ; aucun ne supportait son existence seul ;

Ce bien, c’est partagé, c’est échangé, avec des étrangers qu’il réjouit,

     Qu’il devient allégresse, tout en dormant grandit la puissance du mot

Père ! sérénité ! et résonne tombant aussi loin que possible, antique

     L’écho du Signe, hérité de parents, qui touche et qui produit.

Car c’est ainsi que les Célestes reviennent, que dans une secousse

     Profonde, descend parmi les hommes, des ombres leur grand jour.

 

V

Ils arrivent d’abord, sans être ressentis, les enfants sont,

     Tendus vers eux ; il arrive, trop clair, le bonheur trop aveuglant,

Et l’homme s’effarouche, à peine sait un demi-dieu dire en des noms

     Qui ils sont, eux qui de lui s’approchent chargés de présents.

Mais le courage qu’ils donnent est grand, leurs joies lui comblent le cœur

     Et à peine sait-il user du Bien,

Qu’il crée, gaspille, et presque lui paraît sacré le non-sacré

     Que d’une main bénissante, excessif et généreux. il touche.

Cela autant qu’ils peuvent les célestes les tolèrent ; mais ils viennent ensuite

     Eux-mêmes en vérité et les hommes s’habituent au bonheur

Et au jour et à voir les pleinement visibles, le visage,

     De ceux depuis longtemps nommés comme l’Un et le Tout,

Qui profondément comblent le cœur secret de plénitude libre,

     Et rendent, eux les premiers, eux seuls, toute demande satisfaite.

L’homme est ainsi ; lorsque le Bien est là, et qu’un Dieu se soucie

     Lui-même de présents pour lui, il ne le voit et ne le connaît pas.

Il faut - d’abord - qu’il porte ; mais, ce qu’il a de plus cher, maintenant

     Il le nomme, désormais, doivent naître des mots telles des fleurs pour cela.

 

VI

Et maintenant il songe, sérieusement, à honorer les dieux bienheureux,

     Tout doit réellement et vraiment proclamer leur gloire.

Rien ne doit contempler la lumière, qui ne plaise pas aux très-hauts,

     Le futile esquissé n’a pas, face à l’Ether, de convenance.

C’est pourquoi pour se tenir digne dans le présent des célestes

     Des peuples se disposent en agencements somptueux,

Chacun prenant sa place, et construisent les beaux temples et les villes

     Avec solidité et noblesse, s’élevant au-dessus des berges –

Mais où sont-ils ? Où fleurissent les biens-connus, les couronnes de la fête ?

     Thèbes se fane ainsi qu’Athènes. Les armes ne bruissent-elles plus

En Olympie, ni les chars dorés du tournoi,

     Et les navires à Corinthe ne s’orneront-ils plus de guirlandes jamais ?

Pourquoi se taisent-ils, eux-aussi, les antiques théâtres sacrés ?

     Pourquoi la danse consacrée n’éprouve-t-elle pas la joie ?

Pourquoi comme jadis un dieu ne marque-t-il plus le front de l’homme,

     N’imprime plus, comme jadis, son sceau sur celui qu’il a touché ?

Ou bien il est venu aussi lui-même et a pris humaine figure,

     Et parachevant la fête céleste l’a close, consolant.

 

VII

Mais, mon ami !  nous arrivons trop tard. Les Dieux, il est vrai, vivent

     Mais au-dessus de notre tête, là-haut, dans un monde différent.

Ils oeuvrent là infiniment, et semblent peu se soucier de savoir

     Si nous vivons, tant ils nous épargnent, les célestes.

Car un récipient trop faible ne peut toujours les tenir,

    C’est seulement parfois que l’homme supporte la divine plénitude.

Et la vie est après cela un rêve d’eux. Mais l’aberrance,

     Aide, comme le sommeil, et l’urgence et la nuit rendent fort,

Jusqu’à ce qu’aient grandi de héros dans le berceau d’airain suffisamment,

     Que les cœurs soient aux dieux, comme jadis, semblables en force,

Là-dessus ils arrivent dans un tonnerre. En attendant, je me prends,

    A penser bien souvent qu’il vaut mieux dormir que d’être ainsi

Sans compagnon, d’attendre, et que faire pourtant et que dire, cela

     Je ne le sais, ni pourquoi donc, en un temps de manque, des poètes ?

Mais ils sont, me dis-tu, comme les prêtres sacrés du dieu du vin,

     Qui dans la nuit sacrée passaient de pays en pays.

 

VIII

Lorsque, en effet, il y a quelque temps, qui nous semble bien long,

     Ils sont tous remontés, ceux que la vie avait rendus heureux,

Quand le Père a détourné son visage des hommes

     Et qu’a très justement commencé sur la terre le deuil,

Quand, le dernier, est apparu un tranquille génie, donneur

     De consolation céleste, qui annonça la fin du jour et disparut, alors

Furent en signe que jadis il avait été là et reviendrait

     Laissés par le céleste chœur quelques présents,

Dont nous puissions humainement comme jadis jouir,

     Car pour la joie, avec esprit, le très grand devint trop grand

Parmi les hommes, et nous en sommes encore là, il manque encore

     Les forts pour les plus hautes joies, mais en silence vit quelque gratitude.

Le pain est fruit de la terre, mais il est cependant béni par la lumière,

     Et c’est du Dieu tonnant que vient la joie du vin.

C’est pourquoi les goûtant nous pensons aux célestes qui jadis

     Furent là et reviendront au juste temps,

C’est pourquoi chantent aussi avec sérieux le dieu du vin les chanteurs

     Et le vieux ne trouve pas vainement controuvée la louange entendue.

 

IX

Eh oui, ils ont raison de dire qu’il concilie le jour avec la nuit,

     Qu’éternellement, vers le haut, et vers le bas, il conduit l’astre du ciel,

Continuement joyeux, comme le feuillage du pin toujours viride,

     Qu’il aime et la couronne qu’il s’est choisie de lierre,

Parce qu’il demeure et porte même la trace des dieux enfuis

     Jusque dans la ténèbre aux sans-dieux qui séjournent en bas.

Ce que le chant des Anciens nous a d’enfants de Dieu prédit,

     Vois, c’est nous qui le sommes, nous ; c’est un fruit de l’Hespérie !

Cela est accompli merveilleusement et proche comme étant déjà chez les hommes,

     Le croie qui l’a éprouvé ! mais il arrive tant de choses,

Et aucune n’agit, car nous sommes sans cœur, des ombres, jusqu’à ce que

     Notre père, l’Ether, reconnaisse chacun et appartienne à tous.

Mais cependant descend, brandisseur du flambeau, le fils

     Du Très Haut, le Syrien, parmi les ombres.

Des sages bienheureux voient cela ; un sourire resplendit depuis l’âme

     Prisonnière, à la lumière leur œil se dégèle encore et brille.

Dans les bras de la terre il rêve plus suavement et dort, le Titan,

     Et même l’envieux, même Cerbère, boit et dort.

 

 

Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre

In, « Anthologie bilingue de la poésie allemande »

Editions Gallimard (La Pléiade), 1995

Du même auteur :

« Je connais quelque part un château-fort… » / « Das alte Schloss zu untergraben … » (14//02/2015)

Ainsi Ménon pleurait Diotima /Menons Klagen um diotima (14/02/2016)

Le Pays / Die Heimat (06/02/2017)

Chant du destin d’Hypérion / Hyperions Schickalslied (06/02/2018)

Fantaisie du soir / Abendphantasie (06/02/2019)

En bleu adorable / In lieblicher Bläue (06/02/2020)

 « Comme, lorsqu’au jour de fête... » / « Wie wenn am Feiertage... » (06/02/21)

Fête de la paix / Friedensfeier (01/08/2021)

La moitié de la vie / Hälfte des Lebens (06/02/2022)

 

 

Brod und Wein

An Heinze 

Rings um ruhet die Stadt; still wird die erleuchtete Gasse,

     Und, mit Fakeln geschmükt, rauschen die Wagen hinweg.

Satt gehn heim von Freuden des Tags zu ruhen die Menschen,

     Und Gewinn und Verlust wäget ein sinniges Haupt

Wohlzufrieden zu Haus; leer steht von Trauben und Blumen,

     Und von Werken der Hand ruht der geschäfftige Markt.

Aber das Saitenspiel tönt fern aus Gärten; vieleicht, daß

     Dort ein Liebendes spielt oder ein einsamer Mann

Ferner Freunde gedenkt und der Jugendzeit; und die Brunnen

     Immerquillend und frisch rauschen an duftendem Beet.

Still in dämmriger Luft ertönen geläutete Gloken,

     Und der Stunden gedenk rufet ein Wächter die Zahl.

Jezt auch kommet ein Wehn und regt die Gipfel des Hains auf,

     Sieh! und das Schattenbild unserer Erde, der Mond

Kommet geheim nun auch; die Schwärmerische, die Nacht kommt,

     Voll mit Sternen und wohl wenig bekümmert um uns,

Glänzt die Erstaunende dort, die Fremdlingin unter den Menschen

     Über Gebirgeshöhn traurig und prächtig herauf.

 

II 

Wunderbar ist die Gunst der Hocherhabnen und niemand

     Weiß von wannen und was einem geschiehet von ihr.

So bewegt sie die Welt und die hoffende Seele der Menschen,

     Selbst kein Weiser versteht, was sie bereitet, denn so

Will es der oberste Gott, der sehr dich liebet, und darum

     Ist noch lieber, wie sie, dir der besonnene Tag.

Aber zuweilen liebt auch klares Auge den Schatten

     Und versuchet zu Lust, eh′ es die Noth ist, den Schlaf,

Oder es blikt auch gern ein treuer Mann in die Nacht hin,

     Ja, es ziemet sich ihr Kränze zu weihn und Gesang,

Weil den Irrenden sie geheiliget ist und den Todten,

     Selber aber besteht, ewig, in freiestem Geist.

Aber sie muß uns auch,daß in der zaudernden Weile,

     Daß im Finstern für uns einiges Haltbare sei,

Uns die Vergessenheit und das Heiligtrunkene gönnen,

     Gönnen das strömende Wort, das, wie die Liebenden, sei,

Schlummerlos und vollern Pokal und kühneres Leben,

     Heilig Gedächtniß auch, wachend zu bleiben bei Nacht.

 

III 

Auch verbergen umsonst das Herz im Busen, umsonst nur

     Halten den Muth noch wir, Meister und Knaben, denn wer

Möcht′ es hindern und wer möcht′ uns die Freude verbieten?

     Göttliches Feuer auch treibet, bei Tag und bei Nacht,

Aufzubrechen. So komm! daß wir das Offene schauen,

     Daß ein Eigenes wir suchen, so weit es auch ist.

Fest bleibt Eins; es sei um Mittag oder es gehe

     Bis in die Mitternacht, immer bestehet ein Maas,

Allen gemein, doch jeglichem auch ist eignes beschieden,

     Dahin gehet und kommt jeder, wohin er es kann.

Drum! und spotten des Spotts mag gern frohlokkender Wahnsinn,

     Wenn er in heiliger Nacht plözlich die Sänger ergreift.

Drum an den Isthmos komm! dorthin, wo das offene Meer rauscht

     Am Parnaß und der Schnee delphische Felsen umglänzt,

Dort ins Land des Olymps, dort auf die Höhe Cithärons,

     Unter die Fichten dort, unter die Trauben, von wo

Thebe drunten und Ismenos rauscht im Lande des Kadmos,

     Dorther kommt und zurük deutet der kommende Gott.

 

IV 

Seeliges Griechenland! du Haus der Himmlischen alle,

     Also ist wahr, was einst wir in der Jugend gehört?

Festlicher Saal! der Boden ist Meer! und Tische die Berge,

     Wahrlich zu einzigem Brauche vor Alters gebaut!

Aber die Thronen, wo? die Tempel, und wo die Gefäße,

     Wo mit Nectar gefüllt, Göttern zu Lust der Gesang?

Wo, wo leuchten sie denn, die fernhintreffenden Sprüche?

     Delphi schlummert und wo tönet das große Geschik?

Wo ist das schnelle? wo brichts, allgegenwärtigen Glüks voll

     Donnernd aus heiterer Luft über die Augen herein?

Vater Aether! so riefs und flog von Zunge zu Zunge

     Tausendfach, es ertrug keiner das Leben allein;

Ausgetheilet erfreut solch Gut und getauschet, mit Fremden,

     Wirds ein Jubel, es wächst schlafend des Wortes Gewalt

Vater! heiter! und hallt, so weit es gehet, das uralt

     Zeichen, von Eltern geerbt, treffend und schaffend hinab.

Denn so kehren die Himmlischen ein, tiefschütternd gelangt so

     Aus den Schatten herab unter die Menschen ihr Tag.

 

Unempfunden kommen sie erst, es streben entgegen

     Ihnen die Kinder, zu hell kommet, zu blendend das Glük,

Und es scheut sie der Mensch, kaum weiß zu sagen ein Halbgott,

     Wer mit Nahmen sie sind, die mit den Gaaben ihm nahn.

Aber der Muth von ihnen ist groß, es füllen das Herz ihm

     Ihre Freuden und kaum weiß er zu brauchen das Gut,

Schafft, verschwendet und fast ward ihm Unheiliges heilig,

     Das er mit seegnender Hand thörig und gütig berührt.

Möglichst dulden die Himmlischen diß; dann aber in Wahrheit

     Kommen sie selbst und gewohnt werden die Menschen des Glüks

Und des Tags und zu schaun die Offenbaren, das Antliz

     Derer, welche, schon längst Eines und Alles genannt,

Tief die verschwiegene Brust mit freier Genüge gefüllet,

     Und zuerst und allein alles Verlangen beglükt;

So ist der Mensch; wenn da ist das Gut, und es sorget mit Gaaben

     Selber ein Gott für ihn, kennet und sieht er es nicht.

Tragen muß er, zuvor; nun aber nennt er sein Liebstes,

     Nun, nun müssen dafür Worte, wie Blumen, entstehn.

 

VI 

Und nun denkt er zu ehren in Ernst die seeligen Götter,

     Wirklich und wahrhaft muß alles verkünden ihr Lob.

Nichts darf schauen das Licht, was nicht den Hohen gefället,

     Vor den Aether gebührt müßigversuchendes nicht.

Drum in der Gegenwart der Himmlischen würdig zu stehen,

     Richten in herrlichen Ordnungen Völker sich auf

Untereinander und baun die schönen Tempel und Städte

     Vest und edel, sie gehn über Gestaden empor -

Aber wo sind sie? wo blühn die Bekannten, die Kronen des Festes?

     Thebe welkt und Athen; rauschen die Waffen nicht mehr

In Olympia, nicht die goldnen Wagen des Kampfspiels,

     Und bekränzen sich denn nimmer die Schiffe Korinths?

Warum schweigen auch sie, die alten heilgen Theater?

     Warum freuet sich denn nicht der geweihete Tanz?

Warum zeichnet, wie sonst, die Stirne des Mannes ein Gott nicht,

     Drükt den Stempel, wie sonst, nicht dem Getroffenen auf?

Oder er kam auch selbst und nahm des Menschen Gestalt an

     Und vollendet′ und schloß tröstend das himmlische Fest.

 

VII 

Aber Freund! wir kommen zu spät. Zwar leben die Götter,

     Aber über dem Haupt droben in anderer Welt.

Endlos wirken sie da und scheinens wenig zu achten,

     Ob wir leben, so sehr schonen die Himmlischen uns.

Denn nicht immer vermag ein schwaches Gefäß sie zu fassen,

     Nur zu Zeiten erträgt göttliche Fülle der Mensch.

Traum von ihnen ist drauf das Leben. Aber das Irrsaal

     Hilft, wie Schlummer und stark machet die Noth und die Nacht,

Biß daß Helden genug in der ehernen Wiege gewachsen,

     Herzen an Kraft, wie sonst, ähnlich den Himmlischen sind.

Donnernd kommen sie drauf. Indessen dünket mir öfters

     Besser zu schlafen, wie so ohne Genossen zu seyn,

So zu harren und was zu thun indeß und zu sagen,

     Weiß ich nicht und wozu Dichter in dürftiger Zeit?

Aber sie sind, sagst du, wie des Weingotts heilige Priester,

     Welche von Lande zu Land zogen in heiliger Nacht.

 

VIII 

Nemlich, als vor einiger Zeit, uns dünket sie lange,

     Aufwärts stiegen sie all, welche das Leben beglükt,

Als der Vater gewandt sein Angesicht von den Menschen,

     Und das Trauern mit Recht über der Erde begann,

Als erschienen zu lezt ein stiller Genius, himmlisch

     Tröstend, welcher des Tags Ende verkündet′ und schwand,

Ließ zum Zeichen, daß einst er da gewesen und wieder

     Käme, der himmlische Chor einige Gaaben zurük,

Derer menschlich, wie sonst, wir uns zu freuen vermöchten,

     Denn zur Freude, mit Geist, wurde das Größre zu groß

Unter den Menschen und noch, noch fehlen die Starken zu höchsten

     Freuden, aber es lebt stille noch einiger Dank.

Brod ist der Erde Frucht, doch ists vom Lichte geseegnet,

     Und vom donnernden Gott kommet die Freude des Weins.

Darum denken wir auch dabei der Himmlischen, die sonst

     Da gewesen und die kehren in richtiger Zeit,

Darum singen sie auch mit Ernst die Sänger den Weingott

     Und nicht eitel erdacht tönet dem Alten das Lob.

 

IX 

Ja! sie sagen mit Recht, er söhne den Tag mit der Nacht aus,

     Führe des Himmels Gestirn ewig hinunter, hinauf,

Allzeit froh, wie das Laub der immergrünenden Fichte,

     Das er liebt, und der Kranz, den er von Epheu gewählt,

Weil er bleibet und selbst die Spur der entflohenen Götter

     Götterlosen hinab unter das Finstere bringt.

Was der Alten Gesang von Kindern Gottes geweissagt,

     Siehe! wir sind es, wir; Frucht von Hesperien ists!

Wunderbar und genau ists als an Menschen erfüllet,

     Glaube, wer es geprüft! aber so vieles geschieht,

Keines wirket, denn wir sind herzlos, Schatten, bis unser

     Vater Aether erkannt jeden und allen gehört.

Aber indessen kommt als Fakelschwinger des Höchsten

     Sohn, der Syrier, unter die Schatten herab.

Seelige Weise sehns; ein Lächeln aus der gefangnen

     Seele leuchtet, dem Licht thauet ihr Auge noch auf.

Sanfter träumet und schläft in Armen der Erde der Titan,

     Selbst der neidische, selbst Cerberus trinket und schläft.

 

Poème précédent en allemand :

Friedrich Nietzche  : « Et si nous sommes dans les ruisseaux de la vie... » / « Und ob wir in des Lebens Bächen stehen... » (03/02/2023)

Eugenio Montale (1896 -1981) : « Côtes de Ligurie... » / « Riviere... »

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Côtes de Ligurie

Des estocs de glaïeuls

Penchés sur la falaise

A pic sur la mer en délire,

Ou deux camélias pâles

Dans les jardins déserts,

Un eucalyptus blond, baigné dans la lumière

Striée de vols déments

Et de bruissements :

Rien que cela suffit, et me voilà captif

D’invisibles fils qui se lovent et me piègent,

Moi, papillon dans une toile d’araignée

D’oliviers frémissants, de tournesols voyeurs.

 

Côtes de Ligurie

Qu’il est doux aujourd’hui de se laisser piéger

Pour peu que l’on consente à revivre les jeux

De son enfance, jeux qu’on ne peut oublier.

Je me souviens du philtre amer que vous offrîtes,

Ô rivages de mon pays

A cet adolescent éperdu que j’étais ;

Dans les matins clairs ciel et coteaux se mêlaient,

Sur la grève un ressac énorme, un rythme égal

De frémissantes vies, un monde fiévreux

Et toute chose en soi semblant se consumer.

Oh, ballotés alors

Comme l’os de la seiche à la merci des flots !

Pouvoir s’évanouir peu à peu, devenir

Un galet que la mort polit, un arbre rugueux !

Fondre dans les couleurs d’un coucher de soleil !

Voir sa chair disparaître et renaître eau de source

Qui jaillisse, enivrée, dévorée de soleil...

 

Oui, c’était dans mes vœux,

Ô rivage de mon pays : voeux d’un enfant

D’autrefois, appuyéà la balustrade

Lépreuse, d’un enfant lentement se mourant

Avec un doux sourire.

.......................................................

 

Traduit de l’italien par Sicca Venier

In, « Poètes d’Italie, Anthologie des origines à nos jours »

Editions de la Table Ronde, 1999

Du même auteur :

« A midi faire halte …/ « Merrigiare pallido… » (10/05/2016)

La bourrasque / La bufera (14/08/2019)

Bateaux sur la Marne / Bache sulla Marna (14/08/2020)

Correspondances (08/02/2021)

« elle traversait pieds nus... » (13/08/2021)

« Ne t’abrite pas à l’ombre... » / « Non rifugiarti nell'ombra... » 08/02/2022)

Midi / « Gloria del disteso mezzogiorno... » (14/08/2022)

 

 

 

Riviere,

bastano pochi stocchi d'erbaspada

penduli da un ciglione

sul delirio del mare;

o due camelie pallide

nei giardini deserti,

e un eucalipto biondo che si tuffi

tra sfrusci e pazzi voli

nella luce;

ed ecco che in un attimo

invisibili fili a me si asserpano,

farfalla in una ragna

di fremiti d'olivi, di sguardi di girasoli.

 

Dolce cattività, oggi, riviere

di chi s'arrende per poco

come a rivivere un antico giuoco

non mai dimenticato.

Rammento l'acre filtro che porgeste

allo smarrito adolescente, o rive:

nelle chiare mattine si fondevano

dorsi di colli e ciclo; sulla rena

dei lidi era un risucchio ampio, un eguale

fremer di vite

una febbre del mondo; ed ogni cosa

in se stessa pareva consumarsi.

 

Oh allora sballottati

come l'osso di seppia dalle ondate

svanire a poco a poco;

diventare

un albero rugoso od una pietra

levigata dal mare; nei colori

fondersi dei tramonti; sparir carne

per spicciare sorgente ebbra di sole,

dal sole divorata...

 

          Erano questi,

riviere, i voti del fanciullo antico

che accanto ad una rósa balaustrata

lentamente moriva sorridendo.

...................................................

 

Ossi di seppia

Gobetti Editore, Torino, 1925

Poème précédent en italien :

Dino Campana:Guglielma et Manfreda au balcon (XIIIème siècle) /Guglielmina e Manfreda al balcone (Secolo XIII) (01/02/2023)

Selma Meerbaum-Eisinger (1924 – 1942) : Rêves / Träume

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03[1]Czernowitz, vers 1940 (Yad Vashem)

 

Rêves

 

Mes nuits sont tressées de rêves

Doux comme le vin nouveau

J’ai rêvé que les fleurs des arbres tombaient

M’enveloppaient, me recouvraient.

 

Et toutes ces fleurs devenaient des baisers

Brûlants comme le vin rouge

Et tristes comme des papillons de nuit qui savent

Qu’ils devront s’éteindre dans le faux-semblant de la mort

 

Mes nuits sont tressées de rêves

Lourds comme le sable fatigué

J’ai rêvé que, des arbres mourants,

Les feuilles tombaient dans ma main.

 

Et toutes ces feuilles devenaient des mains

Qui caressaient comme un sable mouvant

Et étaient fatiguées comme des papillons qui savent

Qu’ils finiront avant le rayon du soleil

 

Mes nuits sont tressées de rêves

Bleus comme le mal d’amour

J’ai rêvé que de tous les arbres tombaient

Des flocons de neige qui tintinabulaient

 

Et tous ces flocons devenaient des larmes

Que j’ai pleurées chaudement –

Comprends mes rêves, mon amant,

Ils sont tous pleins de désir pour toi.

8 novembre 1941

 

 

Traduit de l’allemand par Marc Sagnol

In, Revue « Temporel, N°20, 23 Septembre 2015 »

Revue en ligne publiée par l’Atelier GuyAnne, 77144 Chalifert

De la même autrice :

Chant de désir / Sehnsuchtslied (09/02/2021)

« Ô toi, sais-tu comment crie un corbeau ?...» / « Du, weißt du, wie ein Rabe schreit ?.. » (09/02/2022)

 

 

Träume

 

Es sind meine Nächte

durchflochten von Träumen,

die süß sind wie junger Wein.

Ich träume, es fallen die Blüten von Bäumen

und hüllen und decken mich ein. 

 

Und alle diese Blüten,

sie werden zu Küssen,

die heiß sind wie roter Wein

und traurig wie Falter, die wissen: sie müssen

verlöschen im sterbenden Schein.

 

Es sind meine Nächte

durchflochten von Träumen,

die schwer sind wie müder Sand.

Ich träume, es fallen von sterbenden Bäumen

die Blätter in meine Hand.

 

Und all diese Blätter,

sie werden zu Händen,

die zärteln wie rollender Sand

und müd sind wie Falter, die wissen: sie enden

noch eh' sie ein Sonnenstrahl fand.

 

Es sind meine Nächte

durchflochten von Träumen,

die blau sind wie Sehnsuchtsweh.

Ich träume, es fallen von allen Bäumen

Flocken von klingendem Schnee. 

 

Und all diese Flocken

sie werden zu Tränen.

Ich weinte sie heiß und wirr –

begreif meine Träume, Geliebter, sie sehnen

sich alle nur ewig nach dir.

 

Ich bin in Sehnsucht eingehüllt

Hoffmann und Campe Verlag, Hamburg, 1980

Poème précédent en allemand :

Friedrich Hölderlin : Pain et vin / Brot und wein (06/02/2023)

Octavio Paz (1914 - 1998) : La vie tout simplement / La vida sencilla

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La vie tout simplement

 

Appeler le pain par son nom - et que se pose

sur la nappe le pain de chaque jour ;

faire la part du feu, donner à nos rêves,

au bref paradis, à l’enfer,

au corps et à la minute ce qu’ils réclament ;

rire comme rit la mer, comme le vent rit,

sans que le rire sonne comme des bris de verre ;

boire et dans l’ivresse posséder la vie ;

danser sans perdre le tempo ;

toucher la main d’un inconnu

par un jour de pierre et d’agonie

et que cette main ait la fermeté

que n’eut pas la main de l’ami ;

passer par la solitude sans que le vinaigre

torde ma bouche, ni que le miroir

répète mes grimaces, ni que le silence

se hérisse dans un grincement de dents :

ces quatre murs – papier, plâtre,

tapis chiche, foyer jaunâtre –

ne sont pas encore l’enfer promis ;

que ne me blesse plus ce désir,

gelé par la peur, pluie froide,

brûlure des lèvres non embrassées :

l’eau claire jamais ne suspend son cours

et certains fruits tombent mûrs ;

savoir partager le pain – et le partage,

le pain d’une vérité commune à tous,

vérité du pain qui nourrit notre faim

(si je suis un homme, c’est par son levain,

un semblable parmi mes semblables) ;

lutter pour que vivent les vivants,

donner vie aux vivants, à la  vie,

et enterrer les morts et les oublier

comme la terre les oublie : comme des fruits...

et qu’à l’heure de la mort j’arrive

à mourir comme les hommes et que me soit donné

le pardon, et la vie perdurable

de la poussière, des fruits, de la poussière.

 

 

Traduit de l’espagnol par Jean-Clarence Lambert

in, Octavio Paz : « Liberté sur parole »

Editions Gallimard, 1966

Du même auteur :

L’avant du commencement /Antes del Comienzo (17/01/2015)

Pierres de soleil / Piedra de sol (17/02/2016)

Hymne parmi les ruines / Himno entre ruinas (10/02/2017)

Source (10/02/2018)

« Même si la neige tombe... » (10/02/2019)

Elégie ininterrompue / Elegía interrumpida (10/02/2020)

Mise au net / Pasado en claro (10/02/2021)

Le temps même / El mismo tiempo (10/02/2022)

 

La Vida sencilla

 

 

Llamar al pan y que aparezca

sobre el mantel el pan de cada día;

darle al sudor lo suyo y darle al sueño

y al breve paraíso y al infierno

y al cuerpo y al minuto lo que piden;

reír como el mar ríe, el viento ríe,

sin que la risa suene a vidrios rotos;

beber y en la embriaguez asir la vida,

bailar el baile sin perder el paso,

tocar la mano de un desconocido

en un día de piedra y agonía

y que esa mano tenga la firmeza

que no tuvo la mano del amigo;

probar la soledad sin que el vinagre

haga torcer mi boca, ni repita

mis muecas el espejo, ni el silencio

se erice con los dientes que rechinan:

estas cuatro paredes ?papel, yeso,

alfombra rala y foco amarillento?

no son aún el prometido infierno;

que no me duela más aquel deseo,

helado por el miedo, llaga fría,

quemadura de labios no besados:

el agua clara nunca se detiene

y hay frutas que se caen de maduras;

saber partir el pan y repartirlo,

el pan de una verdad común a todos,

verdad de pan que a todos nos sustenta,

por cuya levadura soy un hombre,

un semejante entre mis semejantes;

pelear por la vida de los vivos,

dar la vida a los vivos, a la vida,

y enterrar a los muertos y olvidarlos

como la tierra los olvida: en frutos...

Y que a la hora de mi muerte logre

morir como los hombres y me alcance

el perdón y la vida perdurable

del polvo, de los frutos y del polvo.

 

 

Libertad bajo palabra

Fondo de Cultura Económica,Mexico, 1960 

Poème précédent en espagnol :

Julio José Casal : Curiosidad (23/12/2022)

Montserrat Álvarez (1969 -) : Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse

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Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse

 

Chantons l’avènement du nouveau monde.

Notre musique est triste, comme l’Apocalypse, et

     grandiose.

Dans les ténèbres inhospitalières de la nuit, nous avons

     construit

d’énormes fantômes de béton et d’acier, et nous les

     avons peuplés

d’une nouvelle race d’êtres solitaires.

Nous apportons avec nous des notes de musique jamais entendues

     auparavant,

des fumées bleues et rouges pour envelopper nos

corps dans la  nuit,

des lumières dans les cavités de nos yeux.

Cette nuit s’effondre la vieille civilisation au milieu des

     feux d’artifice.

Cette joyeuse nuit de l’Apocalypse,

nous n’apportons pas avec nous de vieux codes éthiques,

nous n’apportons pas avec nous des idéaux ou des espoirs :

nous sommes la génération de la fin du monde.

 

(Dark zone et autres poèmes)

 

Traduit de l’espagnol

Revue « Conséquence #3 », 2019

De la même autrice :

 Icare (10/02/2020)

Elle voit plus loin (10/02/2021)

Argos (10/02/2022)

Birago Diop (1906 - 1989) : Le chant des Rameurs

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Le chant des Rameurs

 

          J’ai demandé souvent

          Ecoutant la Clameur

          D’où venait l’âpre chant

          Le doux chant des Rameurs.

 

Un soir, j’ai demandé aux jacassants corbeaux

Où allait l’âpre chant, le doux chant des Bozos,

Ils m’ont dit que le Vent, messager infidèle

Le déposait tout près dans les rides de l’Eau ;

Mais que l’eau désirant demeurer toujours belle

Efface à chaque instant les replis de sa peau.

 

          J’ai demandé souvent

          Ecoutant la Clameur

          D’où venait l’âpre chant

          Le doux chant des Rameurs.

 

Un soir, j’ai demandé aux verts Palétuviers

Où allait l’âpre chant des Rudes Piroguiers ;

Ils m’ont dit que le Vent, messager infidèle

Le déposait très loin, au sommet des palmiers ;

Mais que tous les palmiers ont les cheveux rebelles

Et doivent tout le temps peigner leurs beaux cimiers.

 

          J’ai demandé souvent

          Ecoutant la Clameur

          D’où venait l’âpre chant

          Le doux chant des Rameurs.

Un soir, j’ai demandé aux complaisant Roseaux

Où allait l’âpre chant, le doux chant des Bozos,

Ils m’ont dit que le Vent, messager infidèle

Le confiait là-haut, à un petit oiseau ;

Mais que l’Oiseau, fuyant dans un furtif coup d’ailes,

L’oubliait quelquefois dans le ciel indigo.

 

          Et depuis, je comprends

          Ecoutant la Clameur

          D’où venait l’âpre chant

          Le doux chant des Rameurs.

 

 

Leurres et lueurs

Editions Présence Africaine,1960

Du même auteur :

Souffles (09/10/2014)

Désert (25/02/2022)

 


Bernart de Ventadorn (1125 – 1200) : « Bien m’ont perdu là-bas... » / « Be m’an perdut lai... »

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Bien m’ont perdu là-bas, vers Ventadour,

Mes amis, puisque ma dame ne m’aime plus,

Est bien vrai que jamais là ne retourne,

Car m’est devenue sauvage et lointaine,

Vois que me fait mine irritée et morne,

Quand en s’amour m’abandonne tout entier,

Ne sais d’autre cause à son ire et plaintes.

 

Comme le poisson qui se lance sur l’appât

Ne sait rien jusque s’est pris l’hameçon,

Me laissai aller à aimer un jour,

Et ne le sus que quand fus dans la flamme

Qui me brûle plus fort que le feu au four ;

Ainsi point ne peux partir même un peu

Tant me tient pris son amour qui me lie.

 

Ne m’étonne pas si amour me tient pris,

Car plus gent corps ne crois qu’au monde se mire ;

Belle est, et blanche, et fraîche, et gaie, et douce,

Et tout, telle que la veux et désire

...............................................................................

Toujours voudrait son honneur et son bien,

D’ell’ serait homme-lige, ami, serviteur,

Et l’aimerai, bien lui plaise ou déplaise,

On ne peut le cœur contraindre sans l’occire

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Adaptée de l’occitan par France Igly

In, « Troubadours et trouvères »

Pierre Seghers, 1960

Du même auteur :

« Quand naissent l'herbe fraîche... / « Can l'erba fresch'... » (13/02/2019)

« Quand voie l’alouette mouvoir... » / « Quan vei la lauzeta mover... » (13/02/2020)

« Le temps va et vient... / Lo tems vai e ven...» (13/02/2021)

« Chanter ne peut guère valoir... » / « Chantars no pot gaire valer... » (10/02/2022)

 

 

Be m’an perdut lai enves Ventadorn

Tuih mei amic, pois ma domna no m’ama :

Et es be dreihz que ja mais lai no torn,

C’ades estai vas me salvatj’ e grama.

Ve.us per que.m fai semblan irat e morn:

Car en s’amor me deleih e.m sojorn

Ni de ren als no.s rancura ni.s clama.



Aissi co.l peis qui s’eslaiss’ el cadorn

E no.n sap mot, tro que s’es pres en l’ama,

M’eslaissei eu vas trop amar un jorn,

C’anc no.m gardei, tro fui en mei la flama,

Que m’art plus fort, no.m feira focs de forn ;

E ges per so no.m posc partir un dorn,

Aissi.m te pres d’amors e m’aliama.

 


No.m meravilh si s’amors me te pres,

Que genser cors no crei qu’el mon se mire:

Bels e blancs es, e frescs e gais e les

E totz aitals com eu volh e dezire

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Totz tems volrai sa onor e sos bes

E.lh serai om et amics e servire,

E l’amarai, be li plass’ o be.lh pes,

C’om no pot cor destrenher ses aucire.

 

Poème précédent en occitan :

Jaufre Rudel : « Lorsque les jours sont longs en mai... » / « Lanquan li jorn son lonc en may...  (22/10/2022)

Gabriela Mistral (1889 - 1957) : Pays de l’absence / País de la ausencia

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gabriela-mistral[1]

 

Pays de l’absence

à Ribeiro Couto

 

Pays de l’absence,

étrange pays,

plus léger qu’un ange

et signe subtil,

couleur algue morte,

couleur faucon gris,

âgé de toujours,

sans âge qui rie.

 

Ne donne grenade,

ne nourrit jasmin,

et n’a ni cieux

ni mers d’indigo.

Et son nom, son nom,

jamais n’entendis

en pays sans nom

je m’en vais mourir.

 

Nul pont, nulle barque

me mena ici.

On ne m’en dit rien

comme île ou pays.

Je ne le cherchais

ni le découvris.

 

Il semble une fable

que j’avais apprise

Un rêve à saisir

et à laisser fuir.

Et c’est ma patrie

où vivre et mourir.

 

Il m’est né de choses

qui ne sont pays :

de patries, de patries

que j’eus et perdis ;

et des créatures

que je vis mourir ;

de ce qui fut mien

et de moi s’en fut.

 

Perdues cordillères

où j’avais dormi ;

perdus vergers d’or

suaves pour vivre ;

perdues pour moi, îles

de joncs, d’indigo,

et toutes leurs ombres

ai vu m’entourer

jointes et amantes

se faire pays.

 

Crinières de brumes

sans dos et sans nuque,

souffles endormis

les ai vus me suivre,

en années errantes

devenir pays.

en pays sans nom

je m’en vais mourir.

 

Traduit de l’espagnol par Irène Gayraud

In, Gabriela Mistral : « Essart »

Editions Unes, 2021

País de la ausencia

 

País de la ausencia

extraño país,

más ligero que ángel

y seña sutil,

color de alga muerta,

color de neblí,

con edad de siempre,

sin edad feliz.

 

No echa granada,

no cría jazmín,

y no tiene cielos

ni mares de añil.

Nombre suyo, nombre,

nunca se lo oí,

y en país sin nombre

me voy a morir.

 

Ni puente ni barca

me trajo hasta aquí,

no me lo contaron

por isla o país.

Yo no lo buscaba

ni lo descubrí.

 

Parece una fábula

que yo me aprendí,

sueño de tomar

y de desasir.

Y es mi patria donde

vivir y morir.

 

Me nació de cosas

que no son país;

de patrias y patrias

que tuve y perdí;

de las criaturas

que yo vi morir;

de lo que era mío

y se fue de mí.

 

Perdí cordilleras

en donde dormí;

perdí huertos de oro

dulces de vivir;

perdí yo las islas

de caña y añil,

y las sombras de ellos

me las vi ceñir

y juntas y amantes

hacerse país.

 

Guedejas de nieblas

sin dorso y cerviz,

alientos dormidos

me los vi seguir,

y en años errantes

volverse país,

y en país sin nombre

me voy a morir.

 

Tala

Ediciones Sur, Buenos Aires,1938

Poème précédent en espagnol :

Octavio Paz : La vie tout simplement / La vida sencilla (10/02/23)





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